Le tourbillon des cours m'a de nouveau happée. Comme au premier semestre, mais en plus dur, plus intense, plus épuisant. Mes insomnies reviennent gangrenner mes nuits, et mon espoir fluctue entre optimise et crises de larmes.

Je suis celle qui est attendue au tournant par certains. J'avais essayé d'être discrète mais le bouche à oreille a bien fonctionné. Lorsque je croise une connaissance, même superficielle, elle est au courant, la pluspart du temps. Je suis cinquième et cela ne souffre aucune plainte, aucun doute. J'ai beau leur expliquer que rien n'est joué, que je vais sans doute perdre des places au second semestre, au vu de la difficulté, que certes, personne (me semble t il), n'a jamais autant chuté entre les deux semestre, mais qu'il faut un début à tout, j'ai beau leur expliquer tout ça, sincèrement embarassée par leur joie définitive et prématurée, ils rient, et m'assènent ce qui leur semble être une évidence mais tu vas réussir.

Peut être. Sans doute même, en regardant objectivement les chiffres. Peut être. Mais je voudrai leur dire que je suis faillible, que je peux me planter, et que je crève de peur de me planter, de ne même pas réussir à atteindre le niveau requis. Qu'en regardant mes cours de biochimie, pleins de détails inaprenables mais néanmoins exigibles, le découragement m'envahit. Et que je doute. Pour ne pas changer.
Parfois, je m'imagine, l'année prochaine, en P2, riant de tout cela. Mais aussitôt après, j'ai la vision de moi, toujours en P1, en bute aux murmures comme il y en a dans l'amphi tu la vois cette doublante ? et ben elle était cinquième l'année dernière et elle a complètement foiré son second semestrre. Je ne veux pas doubler. J'en crêverai comme un poisson hors du bocal, noyée dans ma déception et celle des autres.

En fait je crois qu'il y a eut une erreur de Casting. Je ne suis pas faite pour les cinquièmes places. Les cinquièmes places sont faites pour ceux qui ont les épaules suffisamment larges poiur supporter ce qui est malgré tout une pression : la joie et la fierté des proches, d'une ancienne prof', les certitudes des amis, les murmures de l'amphi, qui aime à comparer les premiers. Ce qui m'importe est de passer, et je me contrefous de la place, mais de passer. Les cinquièmes places sont faites pour les surd'euxmêmes ceux qui avancent dans la vie avec leurs certitudes établies, moi j'avance en doutant, et je ne suis pas assez forte pour supporter le poids de leurs regards.

Je suis cinquième. J'en suis heureuse, au vu de mon travail du premier semestre. Mais je suis cinquième, celle qu'on regarde sans imaginer qu'elle puisse chuter, celle qui ne peut pas vraiment se plaindre auprès de ses amies moins bien classées.

S. m'a téléphoné, hier, du fond de sa prépa. Il avait la voix qui tremblait un peu, lui aussi doute bien qu'il soit bien classé dans une prépa prestigieuse.
On a parlé, et puis un des autres pensionnaires est passé C'est Villys au téléphone ?  (Tiens, on connait mon nom là bas), S a acquiésé, par dessus l'éclat de rire de l'autre, et un villys, on a beaucoup entendu parler de toi.. J'aime pas nos vies à reculons qui resemblent à une montagne russe avec plus de bas que de hauts. On s'est promis de se voir bientôt. J'aurai aimé lui dire que c'est maintenant qu'il faut vivre, que c'est maintenant ou jamais qu'il doit prendre le risque de choses qui lui semblent irréalisables mais qui ne le sont pas tant que ça. A moins qu'il ne veuille commencer à vivre à vingt cinq ans, ou se retourner un jour et constater qu'il a trop de regrets,  parcequ'il y aura toujours de mauvaises raisons, mais des raisons quand même, pour laisser glisser les choses. Mais j'ai pas trouvé les mots, j'étais fatiguée, et nous avions tous deux du travail. On a raccroché sur un dernier encouragement mutuel, avant de nous plonger dans nos cours respectifs.

Parfois ma vie entre crochets me paraît bien insipide.
Alors je rêve de juin, de ce chantier d'août, de mes candidatures à mon job de juillet.

Mais avant tout ça, ce foutu concours. 

(Debout. Tiens toi. On te regarde...)