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un mur à berlin
Eclats
Noyée au milieu de cette couette trop grande pour moi, je fixais la nuit en attendant le sommeil. Mes yeux avaient eut le temps de s'habituer à l'obscurité, et je distinguais les fentes des volets, la forme indistincte des étagères sur le mur, au dessus du bureau, la lumière éclatée de la diode de ma chaine hifi - lorsque j'enlève mes lentilles, les lueurs deviennent des étoiles, c'est bien. Le reste, je ne le voyais pas mais je le savais, la blancheur des murs dépouillés, encore vierges de tout souvenir, et le bordel qui commençait à s'immiscer dans la pièce.

J'avais lu mon livre jusqu'à la dernière page, pressentant que quoiqu'il arrive le sommeil ne viendrai pas, et préférant me laisser porter par les mots plutôt que de repenser à tout ça.
Maintenant que l'affrontement était inévitable, je ne savais même plus ce que je cherchais à faire. A oublier, à comprendre ou à accepter.

J'étais au pied de son lit, les trois autres étudiants à côté de moi, le à côté d'elle lui posait des questions. A un moment il a eut un geste discret pour qu'on observe des marques sur sa peau qu'il nous avait décrites juste avant. Elle ne l'a pas remarqué, trop occupée à chercher les bons mots pour décrire sa douleur au . J'avais les mains jointes devant moi, et j'observais les autres à la dérobée. Ils semblaient impassibles, et je n'arrivais pas à comprendre ce que j'aurais dû faire où ressentir.
Il faut se blinder, c'est ce qu'on dit, c'est ce que beaucoup de gens vous disent. Alors je me disais qu'il fallait pas être boulversée comme je l'étais que c'était pas vraiment normal. Je m'appliquais donc à rester impassible. Je me demandais si les autres aussi avaient ce même combat intérieur, cette même lame de fond qui montait.
Mais ils étaient calmes, comme s'ils avaient déjà compris quelquechose qui manifestement m'échappait encore.
Comme si eux, avaient su comment gérer une femme décrivant de la souffrance à l'état pur, qui demandait de l'aide et racontait un inconfort à en faire pleurer les murs de sa chambre.
Pendant que le l'examinait, même le plus délicatement possible, elle geignait ses larmes.

Sa détresse implacable me prenait à la gorge et me brûlait les yeux. Je ne comprenais pas.

J'ai baissé les yeux et j'avais les jointures blanches, à force de serrer mes mains l'une contre l'autre.

On est sortis de la chambre en silence. Ma blouse trop grande a bousculé son portefeuille. En balbutiant des excuses, qui avaient du mal à franchir le noeud de ma gorge, j'ai rassemblé ses papiers, puis j'ai rejoint les autres. En refermant la porte, je l'ai entendue tousser, et au travers de la vitre, je la voyais qui portait péniblement le haricot et un mouchoir à sa bouche. Derrière moi, j'entendais le dire à l'interne qu'il fallait immédiatement la mettre sous morphine, malgré les risques. Parce qu'il n'y avait plus que cela à faire. Je la fixais toujours, et la main sur la poignée, j'hésitais à réentrer pour l'aider, mais elle a reposé la tête sur son oreiler et, résignée, elle a fermée les yeux. Je me suis alors lentement détournée.

Une externe que je connaissais depuis mon stage de septembre et qui passait par là m'a demandé si ça allait ouais ouais ça va et toi, son air étonné m'a informé que ma voix n'était pas assez assurée pour faire illusion. J'ai basculé la tête en arrière pour chasser l'humidité de mes yeux, j'ai mimé un baillement, et j'ai toussé. kof, excuse. oui oui ça va et toi. Ca y était je faisais illusion. On a parlé de partiels et de stages, comme si tout était normal, et j'avais l'impression d'être dédoublée, de parler avec l'externe tout en ayant une conscience aïgue de tout ce qui se passait à côté, de l'infirmière qui se penchait au côté de la dame, comme si j'étais restée dans la chambre, comme si je n'arrivais pas à la quitter.

Le a finit sa discussion avec l'interne, et il s'est retourné vers nous. Il a écarté les bras comme pour s'excuser de notre impuissance.Il nous a redit ce qu'il avait dit avant, qu'elle allait mourrir, bientôt. Qu' Il n'y a malheureusement rien à faire d'autre que de s'assurer qu'elle soit le plus confortable possible, qu'elle parte le plus confortable possible. Et là ce n'est même pas le cas, alors on va la mettre sous (...).
Il a dit cela, et je sentais bien que ça l'embêtait un peu de n'avoir rien d'autre à nous dire, rien d'autre à nous offrir que de l'impuissance.

J'avais envie de lui demander si avec le temps, avec l'expérience ça s'arrangeait, si avec le temps la pensée d'un être soit mortel et souffre au bout de nos doigts sans que l'on puisse rien faire devenait plus supportable.
J'avais envie de l'entendre dire que c'était normal de ne pas encore être blindée, que c'était normal que ça explose à l'intérieur, des éclats coincés dans la gorge et dans les yeux.

Le midi, j'avais préféré manger dans mon studio tout proche plutôt que d'affronter le restaurant du personnel, je mâchais mécaniquement, et en écoutant les nouvelles, et l'asie, j'ai eut envie de gerber et de pleurer.
Je m'en suis voulue de réagir ainsi, arrête ton char, c'est leur souffrance et pas la tienne, je me suis prise la tête entre les mains et, du bout des doigts, j'ai serré jusqu'à en avoir mal.

Un jour je serai plus étudiante, je serai médecin, et un peu moins impuissante (peut être).
Je serai, si je l'ose, là où ça va mal, car c'est comme revenir dans la chambre de la dame à la fin de la matinée, pour l'aider à s'essuyer la bouche, pour l'assister un instant, pour diluer juste un peu son sentiment de solitude, c'est tout simplement le seul moyen de se rendre les choses tolérables.
Ecrit par Villys, le Dimanche 9 Janvier 2005, 00:50 dans la rubrique "Cercle de peine".

Commentaires :

petitekaline972
petitekaline972
09-01-05 à 02:20

C'est dur de trouver les mots après cet article...
J'espère au contraire que jamais tu ne perdras cette petite flamme au fond de toi qui t'empêche d'être indifférente même si ça fait mal, on a besoin de medecin, de medecin avec un coeur de chair et non de pierre.
Bon courage.