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un mur à berlin
'Comme dans les tableaux...'

Il y a quelques jours, croyez le ou non, j'ai vu un perroquet.
Je rentrais d'une longue balade dans la forêt voisine où j'avais été me perdre, intentionnellement, avec mon vieux Walkman et une vieille cassette dans les oreilles. (d'ailleurs, vu la forêt, les allées tracées en rayons de roue, il faut vraiment y mettre du sien pour se perdre). J'avais besoin d'air, loin de chez moi, besoin de m'isoler, le coeur un peu en berne. J'ai commencé par tourner au hasard dans les allées, puis je les ai quittées, cheminant vaille que vaille entre les troncs en suivant -ou pas- des sentiers à peine visibles.

Pour parvenir jusque là, j'avais traversé le grand "espace vert" où je jouais, il y a longtemps, et où je n'étais pas revenue depuis un moment. Un sentiment étrange me montait à la gorge, mon arbre favori n'était plus là. C'était un cerisier sauvage, j'en attrapais la première branche en sautant, enroulais mes pieds autour et parvenais (après quelques contorsions) à me hisser là haut. J'y gagnais les parties de cache cache ou je m'y isolais, pour regarder l'après midi décliner, quand les fin d'été se corrompaient de ce sentiment de fin, de trop plein, de pourriture doucereuse qui annonce l'automne. Les bosses en béton sur lesquelles on jouait à se faire peur en vélo semblaient minuscules, et puis, à cet endroit précis, dans le parterre de marguerites miniatures, j'étais tombée et une abeille m'avait piquée. Je me souviens encore du sentiment de trahison qui m'avait envahie, l'herbe verte et tendre n'avait pas su tenir sa promesse, j'avais pleuré pour la forme, alors que mon frère me traînait à la pharmacie du quartier.

Et, comme en écho à ces constatations un peu amères, la voix qui rebondissait sur mon tympan me troublait. Je venais d'exhumer cette cassette, après avoir écouté une émission où l'on parlait de livres sonores, un souvenir avait frappé mon esprit, et je m'étais mise à fouiller fébrilement dans mes vieilles cassettes (que je n'avais écoutées depuis des années), espèrant ne pas l'avoir effacée.
Et finalement, c'était là, dans ma main, cette vieille cassette noire et marron, sur laquelle ma mère avait enregistré, il y a longtemps, en couplant le poste de la cuisine avec un enregistreur, un des livres cassettes qu'on emprumptait à la bibliothèque.
J'avais de nouveau dans le creux de l'oreille cette histoire, cette voix qui m'avait - je le réalisais à cet instant - si profondément marquée. Je pouvais, bien 10 ans après, finir certaines phrases, je souriais en entendant certaines intonations que j'imitais gravement à l'époque, séduite par cette voix grave, un peu éraillée, la pointe d'ironie qui perçait par endroit, les accents de colère. J'écoutais les descriptions d'avions, des instruments, j'imaginais le cockpit isolé dans une nuit étoilée.
Je me souvins avoir eu le coeur serré en entendant ce pilote, perdu au dessus de la mer du nord, jurer sur sa vie qui va finir trop tôt, sur toutes les choses qu'il ne ferait jamais, les gens qu'il n'embrasserai plus
. Le berger, oui c'était cela le titre, le livre datait, il avait sans doute été écrit à l'attention de garçons rêvant d'envols, mais cette histoire m'emportait à l'époque, sans doute autant grace à la voix qu'au contenu, un tout qui avait troublé la fillette que j'étais.
(cher narrateur, avouons le, je suis amoureuse de votre voix)

Ayant retrouvé mon chemin, je revenais chez moi, écoutant pour la troisième fois la cassette (voire la quatrième fois : j'ai marché longtemps et je suis monomaniaque), quand une tâche vert clair a attiré mon regard, quelque part au milieu des branches à peine bourgeonnantes, et c'était, oui, c'était à n'en pas douter, un perroquet.
Estomaquée, je me suis arrêtée sur le petit pont que je traversais, le regardant fixement, l'air sans doute très idiote. L'arbre étant planté en contrebas, la branche sur laquelle l'oiseau était posé était pile à hauteur de mes yeux. Dans mes oreilles, un jeune pilote décrivait des triangles au dessus de la mer du nord et tempêtait dans sa radio morte, contre les incompétents qui tardaient à le sauver, et j'étais suspendue entre autrefois et aujourd'hui, ma longue balade solitaire ayant achevé de me perdre.
Il était posé sur cette branche, indifférent, aux gamins jouant au foot en contrebas, à ma présence ahurie, au fond de l'air encore un peu frais. son bec rouge tranchait sur son habit vert pomme. J'ai cligné plusieurs fois des yeux, cherché le regard d'un passant qui m'aurait confirmé que je ne rêvais pas, mais en dehors des gosses un peu loin, il n'y avait personne.
J'ai fini par en décrocher mon regard, et repartir, le pas léger mais hésitant, les arbres semblaient plus verts en revenant vers mon immeuble, comme si l'après midi avait suffit à secouer le carcan d'hiver.

Je me demandais un peu comment cet oiseau avait pu s'égarer si loin d'un tableau du douanier rousseau, mais parfois les plus belles réponses sont celles qui n'arrivent jamais et j'ai laissé filer la question en avalant les dernières centaines de mètres jusqu'à chez moi. 

Ecrit par Villys, le Dimanche 16 Avril 2006, 12:45 dans la rubrique "Cercle de bonheur".