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un mur à berlin
Save Our Souls
--> (Save Their Souls)
Je suis là, assise devant l'ordinateur, dans la chambre de mon frère, où il ne dort plus beaucoup. Mes habits sentent encore l'atmosphère enclopée du bar-où-la-bière-est-pas-chère dans lequel j'ai passé la soirée avec quelques-un(e)s je cherche les mots pour dire tout ça, le sentiment de vide en leur faisant la bise pour les quitter, avec comme un poing dans l'estomac l'impression de ne pas jouer dans la même divisions qu'eux (qu'elles), c'est pas de la solitude, ça s'en rapproche mais ce n'est pas cela.
Pour dire le job d'AS, la misère humaine au bout, les vies qui s'effondrent.
Alzeihmer ça me fait peur, voilà c'est dit. Chaque soir je me jure de ne jamais finir ainsi, de me suicider avant si jamais.
Je ne voudrai jamais être ainsi, je n'ai aucune conviction religieuse structurée, j'ai un profond et inconditionnel respect pour la vie des autres, mais je veux être maître de la mienne.
C'est trop triste, c'est trop pathétique de les voir sombrer en quelque chose qui n'est plus que l'écho de ce qu'ils ont été.

Il y a Mme C. qui porte le nom d'un réalisateur, et qui, murmure-t on a un vague lien de parenté avec lui. Mme C fut cultivée, Mme C lisait beaucoup. Une grande étagère, installée là lorsqu'elle est arrivée, il y a déjà beaucoup d'années, lorsqu'elle lisait encore, croule sous les livres. D'art, quelques romans policiers, du théâtre, des classiques... Soljenitsyne, Balzac, de belles reliures et des livres de poche torturés - de ceux qui portent leur âme sur les plis de la couverture. Sur ses murs des aquarelles, une de sa main. "C. 1970" griffonné dans un coin. Une éternité avant, un après midi ensoleillé à jamais emprisonné.
Mme C était tout cela. Désormais Mme C se suce les lèvres entre ses gencives nues, on a renoncé à lui faire porter un dentier, pour elle il ne signifie plus rien, il l'encombre, elle ne comprend pas, elle l'enlève. Mme C est souvent dans son lit, mais souvent énervée. Elle tape sur les barrières, en appelant ses fantômes. Aujourd'hui, elle a fini par en décrocher une. On a retrouvé sa table de chevet, souvenir d'avant, brisée, le marbre et le verre éclatés sur le sol, tandis que Mme C errait dans le couloir, nue comme un ver (on a retrouvé ses affaires à l'autre bout de l'étage). Pour ne pas qu'elle se blesse sur des éclats en marchant vers son lit, je l'ai prise dans mes bras. 39 petits kilos, Mme C maigrit. Parfois Mme C échappe à notre vigilance, et à force de taper sur les murs, parvient à ouvrir la porte des escaliers, et à descendre au rez de chaussée. Quelqu'un la remonte alors par l'ascenseur, qui, à notre étage, s'appelle grâce à une clé, concept qu'aucun des patients n'est en mesure de saisir.

Il y a Mme G. Quand on l'aide à se lever d'une chaise ou d'un lit, en la tenant sous les bras, elle se jette dans les vôtres, et se serre contre vous, appuie sa tête sur votre torse, avec un instinct tout enfantin. Mme G appelle sans cesse son "Papa et sa Maman", elle a un regard d'enfant perdu, et le soir, lorsque les lumières s'éteignent, elle a peur.

Mme Ci, ne quitte son lit que pour un fauteuil moulé dans lequel elle ne bouge pas, elle vous fixe de ses grands yeux et la seule phrase qu'elle articule encore nous parle en boucle d'un évènement de sa vie d'écolière.

Mme Gi, elle, se voit sombrer. Elle crie beaucoup, surtout qu'elle est un peu sourde, alors elle crie pour qu'on s'occupe d'elle. "A l'aide. Aidez moi". Passez une demie heure avec elle, une heure, au final, elle appellera toujours, ne se souviendra plus du temps passé ensemble. Et elle recommencera. A hurler "tant pis je vais mourir, je vais crever, mais comme ça c'est dommage". Et c'est sans doute celle avec qui j'ai le plus de mal, sur les 21 résidents de notre étage, plus encore Mme M, qui dans son délire paranoïaque, m'a déjà laissé des traces après m'avoir saisie à la gorge.
Parce que ses appels désespérés n'éveillent que de l'impuissance, parce que l'après midi on est que une ou deux pour 21, parce que elle a raison, c'est dommage et c'est trop triste, leur vie entre les murs de cet étage, entre lever-ptitdej-toilette-déjeuner-goûter-changer-dîner-dormir, sans vraiment d'activité, un kiné par ci par là, mais pas grand chose d'autre parce que leur ailleurs est trop loin pour nous, et pour les quelques uns encore cohérents, il faudrait des équipes plus nombreuses, et formées, pour faire quelque chose.

Je nettoie des fesses, et je leur parle, j'essaie de rassurer, ou de guerre lasse, j'ignore l'un pour m'occuper des autres, et c'est tout, tout ce qu'on peut faire.

Ca me tue ces vies qui s'étiolent et s'évaporent, ça me tue cet entre-deux, où la marée reflue. Pas morts, certainement pas morts, mais ils s'effacent du monde des vivants.

Le soir, le personnel de jour, dont moi, quitte progressivement l'établissement, après 11h de travail (10 h, + 1 de "pause"), abandonnant jusqu'au lendemain les lieux aux veilleurs de nuit. De l'extérieur, certaines fenêtres restent allumées jusque tard dans la nuit. Et derrière, ce sont les âmes qui vacillent.
Ecrit par Villys, le Jeudi 14 Juillet 2005, 01:55 dans la rubrique "Cercle de peine".

Commentaires :

an-droid
an-droid
14-07-05 à 12:41

C'est bizarre, quand on réfléchit à des situations graves ou désespérées -par exemple l'holocaust, ou bien une maladie qui nous condamne quasiment-, on se dit toujours qu'il vaudrait mieux se tuer que d'avoir à l'affronter.
Et puis après, on se dit qu'il y a bien des gens qui les ont affrontées, ces situations. Pourquoi nous, on ne le ferait pas?

Alors évidemment, à chaque fois que je repense au fait que c'est bien dans les pays du Nord qu'il y a le plus de suicides. Là où ce sont les maladies cardovasculaires qui nous attrapent, pas là où il y a la guerre et la famine (finalement, ça fait cliché).

(alors, je me dis qu'on est de sales petits cons enfoncés dans notre confort et notre santé, qu'il faut que tout soit toujours parfait sans quoi on t'aura prévenu la vie, on se suicide!
et finalement, on ne vaut vraiment pas grand-chose, si on ne tente même pas de se battre. Oh, c'est facile, d'ici, de dire "se battre", moi, j'y connais rien, je le sais, et je pourrais même être la première à sauter.
c'qui compte c'est pas l'issue mais c'est l'combat, c'est l'combat.. Peut-être qu'il faudrait demander aux gens condamnés pourquoi ils sont toujours vivants.)

 
Anonyme
12-09-05 à 06:47

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