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un mur à berlin
Limites

En tombant (merci Castor) sur cet article de Kabotine, j'ai réalisé le fossé qui, déjà, me séparait de l'autre côté. L'autre côté de la blouse, l'autre côté du stéto, celui d'où on n'entend pas le coeur qui bat mais où l'on sent ce qui va mal. Celui où on a mal.

L'article de Kabotine me dit les parents désemparés devant la souffrance du petit bout, la difficulté à respirer, la fatigue induite par tous ces symptômes.
Moi j'écris juste quelques bronchiolites. Bon, alors forcément, je ressens le besoin de me justifier. Vis à vis de moi même en premier lieu.

J'ai des carnets chez moi. Un par an, grosso modo. Plus ceux de voyage. Mon écriture les rempli, tantôt hâtive, serrée, presque baclée, parfois lasse, fatiguée, avachie, comme je devais l'être en écrivant au creux d'une insomnie. Parfois j'écris tous les jours, puis plus du tout pendant un moment, puis ça revient. J'ai ici aussi. Les articles publiés, et les jugés impubliables, qui dorment dans mes brouillons.
Depuis que je suis en P2, depuis que je prends pied à l'hôpital, j'en parle, beaucoup. J'ai besoin de l'écrire. Pour me souvenir, plus tard, de ce qui me choquait, de ce qui me marquait à 19-20 ans, en tant que "bébédocteur". Pour me souvenir de ce que je me jure en ce moment de ne jamais devenir.
Pour plus tard, pouvoir les relire et me dire suis je devenue celle que j'aspirais à être dans ma pratique de ce métier ? Ai je raison d'avoir changé d'avis sur tel ou tel point ?

Et entre autres questions difficiles, il y a ce véritable marronier, toujours le même refrain. Le rapport au malade, la distance, sans pour autant négliger, sans pour autant se fermer, rester à l'écoute.

Et voilà que j'écris juste quelques bronchiolites.

Bon.

Mon intime conviction me souffle "non coupable !", parce que le regard médical, ma maigre expérience m'affirme que la bronchiolite, si elle est épuisante pour le nourrisson (et pour ses parents) n'est pas "grave", lorsque ses risques secondaires (perte de poids, difficultés respiratoires) sont prises en charge. Et à l'hôpital, c'est le cas. Donc un mauvais moment à passer, donc "juste quelques bronchiolites".
Certes pour les parents, c'est LA bronchiolite de leur enfant à eux, qui le fatigue, ils le voient bien, et qui le fait grésiller. Mais si je commence à pleurer sur leurs bronches, j'ai pas fini de pleurer.
Donc, jusque là, j'ai ma conscience pour moi.

Mais là se soulève la vraie question c'est "où sont les limites ?", arriverai je, le moment venu, à faire la part des choses entre ce qui est "gênant mais acceptable", et ce qui ne l'est plus ? Comment, en tant que médecin, en tant qu'extérieur, décider "ceci je l'accepte, mais plus cela", comment ne pas négliger une plainte, une réclamation ?, comment ne pas me fermer totalement ?

Le prochain stage me fait pas mal peur. Je vois venir les contradicteurs avec leurs "oui mais la péd, tu appréhendais à la base". Certes. Mais il y a des malades, des pathologies qui me toucheront toujours plus que d'autres, mon histoire personnelle me rend vulnérable à certaines histoires en particulier, et je sais que le service où j'irai en janvier risque d'en regorger. J'en parlais à une amie, en grinçant un peu.

Elle m'a trouvée cynique.
Je me protégeais par avance. En entendant son "tu deviens cynique" teinté de reproche, je me suis sentie lasse d'entendre des gens étrangers à ce milieu me donner leur avis sur la façon de gérer ça, un peu comme ma mère qui est parfois un peu choquée par ma façon de parler du stage. Soit parce que je ricane une horreur, soit parce que la pathologie que j'évoque avec légèreté pour un petit lui paraît (souvent à tort, parce que quand c'était moche je n'étais pas légère) insurmontable.  
J'ai envie de leur dire, à elle, à cette amie, à ceux qui disent "ne te blinde pas", que merde, laissez moi tranquille, parce que ne pas se blinder ce serai invivable, et que tous ces bons conseils ne porteront pas ces malheurs à ma place. Et l'absence de distance dirige souvent vers de mauvaises décisions.

Et en même temps, il n'y a sans doute qu'eux, qu'eux et mes carnets, peut être,  qui sauront m'avertir, si je vais trop loin, si je me coupe trop de l'écoute, si...
Saurai je ne pas sacrifier mon écoute à mon confort moral ? Négliger un symptôme, fermer les yeux devant une souffrance évidente, pour ne pas avoir à y penser, comme certains le font ? Saurai je ne pas oublier la dimension humaine ?

[c'est mon côté prétentieux, je ne veux pas seulement sauver le monde, je veux le faire avec la classe]

Ecrit par Villys, le Vendredi 23 Décembre 2005, 14:10 dans la rubrique "Cercle pour rien".

Commentaires :

mercre
mercre
23-12-05 à 15:50

Un jour dans ma verte jeunesse où je regardai Capital, il y avait un recruteur/superviseur de personnel qui disait à Mickey la grosse peluche "quand les gens vous demandent où sont les toilettes, vous leur répondez poliment, même si c'est la 387ème fois de la journée qu'on vous demande où sont les toilettes, que vous avez chaud sous vos costumes et que Minnie est en train de faire une scène de ménage. Parce qu'eux ne demandent que pour la 1ère fois."

Je suis surement aussi mal placée que tout le monde pour répondre (quand les avis ne me plaisent pas je les dénigre par un "oui [d'accord mon coco]" en me disant que l'autre n'est pas dans mon cas, comme si je jugeais que "ce n'est pas comparable".), mais on dirait que tu vas devenir reine de Thèbes.


 
Kabotine
Kabotine
23-12-05 à 16:16

Rassures toi Villys...

Non, je ne reproche rien à l'hopital, c'est le meilleur endroit où T pouvait être avec sa bronchio... Les parents comprennent que le personnel de l'hopital est débordé. J'ai connu ca en accouchant la semaine du 15 aout... Effectif réduit... Pas pour les naissances...

Et puis il y a des moments de grande écoute quand même, cette infirmière qui prend la peine de tout nous expliquer, à se demander si on est débiles profonds-ou-koi, et puis l'interne qui gatifie et fait des tonnes de gouzous à T... et puis aussi l'écoute.
Oui, on nous a écouté. beaucoup, à chaque tour de garde, on a répété notre histoire, non pas parce que les transmissions le demandaient forcément, mais parce qu'un parent a besoin de verbaliser... Et en désespoir de cause, la psy de l'hopital est venu nous voir... Vider son sac de culpabilité...

Non, on ne peux pas se plaindre. Ce qu'on demande à l'hopital c'est avant tout des soins qu'on ne peut avoir à la maison et auprès du pédiatre de ville...
Et puis on comprend... le cas X ou Y... Il faut bien que les futurs soigneurs se forment...

Non, villys, ne regrette pas... Tu vas faire un métier formidable, et tu l'aborde avec toute l'humanité necessaire... Car de ton coté, il y a quand même les exams, les soirées, les vacances, les copains... La vie quoi !

Allez, bises et bon Noël !
(et puis T sort demain ...)


 
Villys
Villys
23-12-05 à 17:04

Re: Rassures toi Villys...

Merci Kabotine, d'avoir pris la peine de me répondre, mais ne t'inquiète pas, je n'avais pas mal interprêté ton post, pas du tout. Et je comprends tout à fait le mal être d'un parent qui accompagne son enfant.

C'est juste qu'en le lisant, j'ai pris conscience de ma propre réaction, j'ai tout d'un coup (re)vu l'autre côté du miroir.

C'est juste que je suis balottée entre l'exigence d'humanité et de distance. Et que j'aime faire mes crises existentielles sur ce blog.

Et puis enfin, on doit beaucoup te le dire, mais comme je sais que la rationnalité est souvent absente, une fois de plus ne fera pas de mal... le seul coupable dans l'histoire, c'est le virus qui lui a collé sa bronchio, à la rigueur, le mois de décembre, les copains de la crêche, mais certainement pas les parents.

Et joyeux noël à vous tous et à T en particulier :)

[Et Mercre, puisque tu te nommes Mercre désormais, ce que j'aime avec tes messages, c'est leur côté ouvert à toute interprétation. Je vais donc m'acheter du khôl. (et j'aime beaucoup l'histoire du Mickey)]


 
mercre
mercre
23-12-05 à 20:07

Re: Re: Rassures toi Villys...

Appelez-moi Votre Transcendance
En fait, je pensais plutôt à Créon.